She clings to her son so as not to lose her balance. With the weeds that have grown everywhere, one can easily stumble upon a tombstone. Hacire stops in front of a stele, stifles a few sobs. She whispers: “It was my mother. She died twenty years ago. In a few days, the workers will smash through his grave with diggers, open his coffin and place the bones in a white sheet. His remains will then be taken a kilometer away to a brand new cemetery. The place where she lay until now is no longer safe: the small hill overlooking the city of Hasankeyf in southeastern Turkey, on which the cemetery was established, will be submerged in the coming months. by the waters of a dam. Hacire turns his head. She tries not to see the workers who, in the next tomb, are extracting the remains of a skeleton, the bones blackened by the earth.
Elle s’agrippe à son fils pour ne pas perdre l’équilibre. Avec les herbes folles qui ont poussé partout, on peut facilement trébucher sur une pierre tombale. Hacire s’arrête devant une stèle, étouffe quelques sanglots. Elle murmure : « C’était ma mère. Elle est morte il y a vingt ans. » Dans quelques jours, les ouvriers vont défoncer sa tombe à coups de pelleteuse, ouvrir son cercueil et déposer les ossements dans un drap blanc. Sa dépouille sera ensuite emmenée à un kilomètre de là, dans un cimetière flambant neuf. L’endroit où elle reposait jusqu’à présent n’est plus sûr : la petite colline qui domine la ville de Hasankeyf, dans le sud-est de la Turquie, sur laquelle le cimetière a été établi, va être submergée dans les prochains mois par les eaux d’un barrage. Hacire tourne la tête. Elle tente de ne pas voir les ouvriers qui, dans la tombe d’à côté, sont en train d’extraire les restes d’un squelette, les os noircis par la terre.
Since the beginning of the summer, specialized companies have been busy: we have to finish building new houses, demolish old ones, move the tombs of around thirty villages or dig foundations in burning earth. The countdown has begun: a few dozen kilometers away, the gates of the gigantic Ilisu dam, one of the most ambitious projects in southern Turkey, have just been put into operation and retain the stormy waters of the Tigris . They should gradually cover the entire valley, over more than a hundred kilometers. Not just five or ten meters. Entire villages – around fifty – will be completely submerged. Others deprived of roads. The historical heritage of the region, the local ecosystem, the infrastructures and its natural setting, everything will be covered under a huge lake.
Depuis le début de l’été, les entreprises spécialisées s’activent : il faut finir de construire de nouvelles maisons, démolir les anciennes, déplacer les tombes d’une trentaine de villages ou creuser des fondations dans une terre brûlante. Le compte à rebours est lancé : à quelques dizaines de kilomètres de là, les vannes du gigantesque barrage d’Ilisu, un des projets les plus ambitieux du sud de la Turquie, viennent d’être mises en fonctionnement et retiennent les eaux tempétueuses du Tigre. Elles devraient progressivement recouvrir toute la vallée, sur plus d’une centaine de kilomètres. Pas seulement de cinq ou dix mètres. Des villages entiers – une cinquantaine - vont être totalement submergés. D’autres privés de routes. Le patrimoine historique de la région, l’écosystème local, les infrastructures et son cadre naturel, tout va être recouvert sous un immense lac.
A man approaches us. He just exhumed his father. His mother, it will be for tomorrow. He grabs a cup of tea and breathes: “It’s as if they had died a second time.” Baran, an English teacher in Istanbul, came like every summer to the city of his childhood. “There were water sources just down there. On weekends, we would picnic there. I have a theory: I think old people will quickly die. They will move and see their old house disappear. And with them, their memories…”
Un homme s’approche de nous. Il vient d’exhumer son père. Sa mère, ce sera pour demain. Il s’empare d’un thé et souffle : “C’est comme s’ils étaient morts une seconde fois.” Baran, professeur d’anglais à Istanbul, est venu comme chaque été dans la ville de son enfance. “Il y avait des sources d’eau juste en bas. Le week-end, on allait pique-niquer là. J’ai une théorie : je pense que les vieux vont rapidement mourir. Ils vont déménager et voir leur ancienne maison disparaître. Et avec eux, leurs souvenirs…”
Read more
here (article published in Telerama)